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Raon-sur-Plaine
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Le drame des deux Raon 2

LE DRAME

DES

DEUX RAON

RAON-SUR-PLAINS (Vosges) - RAON-LES-LEAU (Meurthe-et-Moselle)

 

 

 

Eugène KURTZ

Strasbourg - 1992

 

 

 

REMERCIEMENTS

L'auteur remercie cordialement les personnes suivantes qui l'ont aidé et conseillé dans la recherche des événements relatés:

_ Jules VALENTIN, ancien maire de Raon-sur-Plaine,

_ Jacques LEPINE, maire de Raon-sur-Plaine,

_ Jacques VALENTIN, ancien maire de Raon-les-Leau,

_  Michel BELUCHE, maire de Raon-les-Leau,

_  Jean-Pierre SOUTRE, directeur d'école et secrétaire de Mairie des deux Raon,

_ Arnold KIENTZLER, président de l’ESSOR

_ Jean-Marie HOLDERBACH,

_ René KLEMENTZ, membre de la commission “Inventaire et Sauvegarde” de la Fédération des Sociétés d'Histoire et d'Archéologie d'Alsace.

 

RAON-SUR-PLAINE et RAON-LES-LEAU, sont deux villages situés à l'ouest du Donon séparés par la Plaine, ruisseau prenant sa source au flanc nord du Donon (à environ 750 m d’altitude). Raon-les-Leau est situé en Meurthe et Moselle, au nord de la Plaine. Au sud du ruisseau, Raon-sur-Plaine fait partie du département des Vosges. La Plaine se jette dans la Meurthe à Raon-l’Etape et forme depuis les deux Raon, la limite entre les départements de Meurthe-et-Moselle et des Vosges. En 1328, la Plaine est désignée « l'eawe qui court par le vaut de Rawon-sur-Pleine» (1).

Le drame dont il est question dans le titre, se place après la guerre franco-allemande de 1870. Par le traité de Francfort du 10 mai 1871, Raon-les-Leau et Raon-sur-Plaine furent d’abord annexés par l’Allemagne, puis rétrocédés à la France. Par l’article 10 de la convention additionnelle du 12 octobre 1871, les deux communes furent dépossédées de leurs forêts domaniales. Celles-ci formaient la plus grande partie du territoire de ces deux villages (environ 9/10 de Raon-les-Leau et 2/3 de Raon-sur-Plaine). Cette situation, causée par la guerre de 1870, ne fut pas modifiée après la victoire de 1918 et subsiste encore de nos jours. Les forêts arrachées à ces deux communes font aujourd’hui parties du ban de Grandfontaine (Bas-Rhin), soit environ 1900 ha ( 1 193 ha de Raon-les-Leau et 700 ha de Raon-sur-Plaine).

 

SITUATION GEOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE AVANT 1870

 

RAON-LES-LEAU

 

Raon-les-Leau ?t partie du département de la Meurthe, arrondissement de Sarrebourg et canton de Lorquin, depuis la création des départements en 1790. La localité fut désignée en dialecte local : Lai-delai, c’est-à-dire la(Raon) d'au-delà (de l'eau), ce village étant au-delà de la rivière par rapport à Raon-sur-Plaine. Depuis 1751, 1a P1aine forma la limite entre le duché de Lorraine, rive droite, et la principauté de Salm, rive gauche. On estime aujourd’hui que la Plaine fut, à l’origine, l’homonyme du Rabodeau : les noms de Raon-sur-Plaine, Raon-les-Leau, Raon-l’Etape, la Petite-Raon en sont des indices (2). La localité changea plusieurs fois de nom ; en 1314 : Ravons, ensuite Rarowons sur Plaine dit lez l'Eau (XVIIIe siècle) et par la suite Raon-lez-1'Eau… Il est probable que les deux communes (Raon-les-Leau et Raon-sur-Plaine) formèrent une seule localité au départ (3).

Avant le Xll siècle Raon-les-Leau avec ses vastes forêts, fit partie du comté de Pierre Percée (Langenstein). En 1138, la comtesse Agnès de Langenstein, ?t don de ce vaste domaine, d'environ 1200ha s'étendant jusqu'au col entre les deux Donon, à l'abbaye de St. Sauveur (4). Cette Agnès de Salm, veuve d'un premier mariage avec un comte de Langenstein, née de Montbéliard-Mousson-Bar, nièce du pape Calixte II, légua également la moitié des revenus de la paroisse de Raon-les-Leau à l'abbaye de St. Sauveur pour le salut du comte Godefroy, son défunt mari, l'autre moitié pour le repos de l'âme de Guillaume, son fils, inhumé également à Raon-les-Leau. L'abbaye profita aussi des revenus des carrières de meules à Raon. Pour l'entretien de la route, allant de Pierre Percée à Raon-les-Leau, Agnès y établit un péage (5).

 

Le site de Raon-les-Leau vers 1910. A l'arrière-plan, Raon-sur-Plaine, et le Donon.

Des «bandits de grand chemin» blessèrent mortellement la comtesse Agnès en 1158, lorsqu'elle se rendit du château de Pierre Percée à sa résidence de Raon-les-Leau. Elle fut inhumée à Raon-les-Leau, près de son premier mari. On peut supposer de ce qui précède, que Raon-les-Leau a dû être, déjà au XIIe siècle, un centre important comportant une petite résidence des Langenstein et une église où furent enterrés des membres de cette famille.

Ces vastes forêts transmises par Agnès de Langenstein portent encore aujourd'hui la désignation «forêts domaniale de St. Sauveur» et concernent les bois suivants : la Charaille, la Chaume de Réquival, la Malcôte, la Côte de l'Eglise, le Haut du Bon Dieu. Au XVIII siècle. Il fallut neuf scieries pour l'exploitation de ces forêts allant de Raon-les-Leau au Donon (7) : sur la Sarre Blanche, les scieries du Pâquis et de St. Nicolas, sur la Plaine, celles de la Grande Goutte et de St. Pierre, sur le Ruisseau de Réquival, la scierie de St. Epre et celle de l'Abbé, enfin les trois scieries Notre-Dame, St. Augustin et St. Guérin dans la vallée des Chevaux et sur le ruisseau de Châtillon.

Pendant la guerre de Trente Ans, Raon-les-Leau et sans doute aussi Raon-sur-Plaine, furent entièrement ravagés et abandonnés par les survivants. Les limites de propriété de ces vastes forêts subirent également des modifications plus ou moins légales pendant cette guerre, d'où des contestations et des procès innombrables aux XVIIe et XVIIIe siècles entre l'abbaye de Domèvre (qui a succédé en 1570 à l'abbaye de St. Sauveur, détruite) et les seigneuries voisines de Blâmont, de Lunéville, de Turquestein, les ducs de Lorraine.

Enfin, un exemple de contestation concernant ces forêts de St. Sauveur (8), le procès de 1698 entre Pierre-Denis, marquis de Châtelet, baron de Cirey et l'abbé Allaine de Domèvre. Il fallut alors placer douze bornes entre les sources de la Sarre Blanche et celles du ruisseau de Châtillon en passant par la roche Parmentier sur la Chaume de Réquival (9). On trouve encore aujourd'hui de ces bornes ou rochers marqués d'une crosse entre deux S et les lettres D.C. (Denis Châtelet) avec la date de 1698. En 1752, à la suite d'un nouveau procès, l’abbaye dut abandonner 413 arpents de ses forêts de Raon au profit du prince Marc de Beauvau-Craon, Grand écuyer du duc Léopold (10). Dans cette même procédure, le prieur de St. Quirin perdit 1497 arpents au profit du même prince. En 1789, les forêts de St. Sauveur furent confisquées par l'Etat pour devenir des forêts domaniales (env. 1200 ha). On peut aussi signaler la présence, au XVIIIe siècle, dans cette région, des chaumes et pâturages importants comme la Chaume de Réquival, la Charaille avec leurs fermes et marcaireries (11). Les terres furent reboisées après la Révolution. Les fermes furent fréquemment habitées par des Mennonites ; leurs mines dorment sous terre et surprennent des promeneurs attentifs a ces murs délabrés et énigmatiques au milieu de ces forêts.

 

Les limites du territoire de Raon-les-Lean avant 1870

Au sud, la Plaine formait depuis sa source, la limite entre les deux Raon et ceci jusqu'à environ 800 m à l'ouest de l'église de Raon-les-Leau. Ici se rencontraient trois bans : les deux Raon et Bionville. La limite communale se dirigeait ensuite vers le nord, en amont de la Charaille et y touchait successivement les bans de St. Sauveur, Petitmont et Val et Châtillon. A la Basse Verdenale aboutissaient les territoires de Raon-les-Leau, Val et Châtillon et Turquestein. A partir de cette vallée, la limite se dirigeait vers l'est par la Chaume Réquival, vers la vallée de la Sarre Blanche. De la ferme du Pâquis, elle montait vers le col de l’Engin, pour y rencontrer le ban de Wisches, continuait direction nord, jusqu’au col Entre-les-deux-Donon : c'était ici le point de rencontre de Raon-les-Leau, Wisches, Schirmeck et Grandfontaine. Le finage de Raon-sur-Plaine n`atteignait pas ce carrefour très ancien et très important, mais se terminait à la source de la Plaine, à environ 350 m en aval du col, source où les bans des deux Raon se retrouvèrent.

 

RAON-SUR-PLAINE

Comme nous l'avons vu ci-dessus, l'histoire des deux Raon est intimement liée. Il est même probable que les deux villages formèrent une seule et même communauté dépendant de l’abbaye de St. Sauveur. Certains auteurs (12) pensent même que la limite de l'abbaye de Senones, au XIe siècle, aurait suivi non le cours de la Plaine, mais les hauteurs de la rive gauche de cette rivière, en passant par le lac de la Maix, les Abrayes, direction Donon. Il est probable qu'au début du XVIe siècle, les biens de l'abbaye de Senones touchèrent la Plaine dans la région de Raon-sur-Plaine. Après le coup d'Etat du 29 septembre 1571 où le comte de Salm et le Rhingrave s'emparèrent des biens de l'abbaye de Senones, Pabbé Malriat de Domèvre signa le 20 mai 1580, un accord avec le comte de Salm au sujet des limites des bois à Raon-sur-Plaine et des droits de chasse qui avaient été la propriété de l'abbé (13). Une preuve que l'abbaye de St. Sauveur, et plus tard Domèvre sur Vezouze, avait des propriétés sur la rive gauche de la Plaine, dans la région de Raon. Cette présence cessa avant la fin du XVIe siècle : en 1598, Raon-sur-Plaine fit partie du lot attribué au comte Jean IX de Salm, la branche lorraine.

 

La douane à Raon-sur-Plaine (1909).

A partir de cette date, Raon-sur-Plaine fit partie de la paroisse de Luvigny, après avoir été rattachée pendant des siècles à la paroisse de Raon-les-Leau. En 1751, une convention entre Louis XV, roi de France, le roi Stanislas, duc de Lorraine et Nicolas-Léopold, prince de Salm-Salm, opéra un nouveau partage de l’ancien comté des Salm. Le cours de la Plaine fut alors considéré comme limite entre la Lorraine et la Principauté de Salm. Le territoire de la branche lorraine du comté, situé sur la rive gauche de la Plaine, fut attribué à la Principauté, y compris Raon-sur-Plaine. En 1792, la France interdit l’exportation de grains à la Principauté. L'année suivante, suite à ce blocus, les délégués de la Principauté demandèrent le rattachement à la France, qui fut décrété par la Convention du 21 mars 1793. Raon-sur-Plaine fut attribué au département des Vosges, district de Senones, canton d'Allarmont. Ce canton se composait de cinq villages : Allarmont, Celles-sur-Plaine, Luvigny, Raon-sur-Plaine et Vexaincourt. Par arrêté du 11 octobre 1801, le nombre de cantons du département des Vosges fut réduit de 66 à 30. Le canton de Schirmeck, rattaché å l’arrondissement de St. Dié, se composa jusqu'en 1870 des villages suivants : Allarmont, Luvigny, Vexaincourt (ces trois villages furent séparés du canton de Schirmeck en 1802 pour être ajoutés a celui de Raon-l'Etape) Raon-sur-Plaine, La Broque, Barembach, Grandfontaine, Natzwiller, Rothau, Russ, Schirmeck, Waldersbach et Wisches.

Comme Raon-les-Leau, le territoire de Raon-sur-Plaine comporte également de vastes étendues boisées. En effet, on découvre sur les hauteurs de la rive gauche de la Plaine et au sud de Raon-sur-Plaine, de Luvígny, de Vexaincourt et d'Allarmont des bois très importants : la forêt domaniale des «Bois Sauvages» d'une contenance de 2777 ha. Nous avons longtemps été intrigué par ce nom et notre curiosité attisée encore plus lors de la découverte des bornes, près de la ferme Oberlé (Basse Abraye) marquées par un B.S. (Bois Sauvages). En 1598,

 

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Borne marquant Ia limite dm Bois Sauvages près de la ferme "Les OberIé". Photo JMH/1992

ces forêts extorquées à l'abbaye de Senones par les comtes de Salm, furent attribuées à Frédéric II, Comte Sauvage du Rhin et de Salm. Les propriétaires donnèrent à ces forêts ce nom de bois des Rhingraves Sauvages et pour simplifier les Bois Sauvages.

Les limites du territoire de Raon-sur-Plaine avant 1870

C'est la Plaine qui forme encore aujourd'hui la limite nord du village de Raon-sur-Plaine. Celle-ci s'étendait du hameau du Trupt à l’extrême ouest à la source de la Plaine, sur le versant nord du Donon, près de la bifurcation de la D 993 (vallée de la Sarre Blanche) et de la D l45 (vallée de la Sarre Rouge). De ce carrefour, la limite contournait le Donon par le nord-ouest à la hauteur de la D 993 (anciennement chemin du Cheval Crevé), empruntait le chemin forestier du Donon, passait au-dessus de la maison forestière du Haut-Donon (D 392), pour descendre à la ferme du Bas-Donon. La limite contournait ensuite, par le sud, le cimetière militaire avant d'arriver à l'embranchement de la route de Prayé à la plate-forme du Donon. D'ici, la limite suivait la route de Prayé jusqu'au carrefour de l'Etoíle l, contournait la Corbeille par le nord et par l'ancien chemin de la Goutte de la Maix, touchait à la limite actuelle du col de la Croix Brignon, en suivant, vers le nord, la limite avec Vexaincourt et Luvigny vers les hauteurs de la Hazelle, c'était enfin la descente vers la Plaine, fin de la limite avec Luvigny.

Raon-sur-Plaine eut donc une longue limite avec Grandfontaine, à partir de la source de la Plaine, direction du Donon, jusqu'au col de la Croix Brignon, à l'ouest de la Corbeille. On peut souligner ici que le sommet du Grand Donon et de la Corbeille firent toujours partie du ban de Grandfontaine, le Petit Donon, en revanche, de tout temps de celui de Wisches.

 

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Raon-sur-Plaine pendant la guerre 1914-1918.

LA GUÉRRE DE 1870

En théorie, la guerre de 1870 fut déclenchée à cause d'une dépêche, la dépêche d'Ems. Le 19 jui1let  1870 la France déclara la guerre à la Prusse ; une guerre qui dura pratiquement six mois (août 1870 a janvier 1871), et qui se termina par la signature d'un armistice à Versailles le 26 janvier l871, suivi de la signature des préliminaires de paix le 26 février et par la conclusion du traité de Francfort le 10 mai.

Le succès de la Prusse dans la guerre contre l'Autriche en 1866 renforça la position prussienne en Allemagne et fit d'elle une puissance militaire portant ombrage à la France de Napoléon III. Suite a ces événements, la France renforça son armée et fortifia ses frontières à l’est. Certains stratèges préconisèrent une «promenade militaire» à Berlin pour «culbuter» la monarchie prussienne. L'esprit de Napoléon Ier fut encore vivace en l870, Iéna et Friedland pas oubliés. L’occasion d'une revanche se précisa début juillet 1870. En 1868, le trône d'Espagne fut vacant, suite à la fuite de la reine isabelle en France. L`Espagne chercha un roi et proposa la couronne au prince Léopold de Hohenzollem, de la branche catholique des Sigmaringen. Napoléon III demanda, par son ambassadeur Benedetti, au roi de Prusse, Guillaume Ier, qui séjourna dans les bains d'Ems, d'interdire au prince Léopold d'accepter la couronne d'Espagne. Leprince renonça à sa candidature le 12 juillet 1870, donc un succès diplomatique pour les Français. Mais Napoléon III, déjà malade et soumis aux pressions de son entourage, envoya le 12 juillet au soir un télégramme à Benedetti, toujours à Ems. Dans ce message, la France demanda à Guillaume Ier une confirmation écrite du retrait de la candidature des Hohenzollem. Le roi de Prusse confirma le 13 juillet le retrait et affirma «qu'il n'a plus rien d'autre à dire à l'ambassadeur ! ».

Bismarck, son chancelier en manipulant un télégramme des services diplomatiques prussiens, parle «d’adjudant de service qui aurait renvoyé l'ambassadeur de France ». Le casus belli fut tout trouvé et le l9 juillet, la France déclara la guerre à la Prusse. Seulement la Prusse obtint, d'une façon inattendue, le soutien de quatre états allemands du sud (Bade, Baviere, Hesse et le Wurtemberg). La guerre franco-prussienne s’annonce comme une guerre franco-allemande. La France resta seule, ses espoirs en un appui autrichien et italien s'avérèrent une illusion.

 

Antagonistes et chronologie du conflit

Pour la France : Napoléon III, empereur, commandant en chef de l'armée soutenu par les maréchaux Bazaine, Mac-Mahon, Canrobert, Vaillant. Le maréchal Leboeuf est ministre de la guerre, le général Bourbaki, commandant de la garde impériale.

Pour la Prusse : Guillaume Ier, roi de Prusse, commandant en chef de 1'armée, soutenu par son chancelier Bismarck, Von Moltke, chef de l'état-major prussien avec le prince Frédéric-Charles, le prince héritier de Prusse, les généraux Steinmetz, Vogel et Falkenstein, Von Roon, ministre prussien de la guerre

Mais voyons rapidement les faits marquants de cette guerre qui amenèrent la perte des deux départements du Rhin, sauf Belfort, de la plus grande partie de la Moselle et d'une partie de la Meurthe et du département des Vosges, les paiements de cinq milliards de francs en dommage de guerre.

 

Année 1870
19 juillet : déclaration de la guerre parla France à la Prusse
4 août : attaque allemande de Wissembourg
6 août : bataille de Spicheren et de Woerth-Froeschwiller
11 août : siège de Strasbourg
12 août : occupation de Nancy
16 août : bataille de Mars-la-Tour
18 août : occupation de Bar-le-Duc, bataille de Gravelotte et St. Privat
20 août : début du blocus de Metz avec Bazaine et son armée
2 septembre : capitulation de Sedan, Mac Mahon se rend avec son armée, Napoléon lII prisonnier
4 septembre : proclamation de la République par Léon Gambetta; fuite de l’impératrice Eugénie en Angleterre
5 septembre : Victor Hugo, de retour d'exil, revient à Paris
19 septembre : début du siège de Paris, le général Trochu avec 45 000 hommes dans la capitale, les Allemands à Versailles
23 septembre : capitulation de Toul
28 septembre : capitulation de Strasbourg, 500 officiers et 17000 soldats prisonniers
3 octobre : Mulhouse occupée
5 octobre : Guillaume Ier établit son quartier général it Versailles avec Moltke et Bismarck
7 octobre : Gambetta, ministre de l’intérieur et de la guerre, quitte Paris en ballon et s'installe à Tours
8 octobre : Colmar occupée
11 octobre : les Bavarois occupent Orléans
12 octobre : les Allemands à Epinal
16 octobre : les Allemands à Remiremont
18 octobre : les Allemands à Val d'Ajol
24 octobre : Sélestat occupée
29 octobre : capitulation de Metz 137 000 prisonniers avec Bazaine, Canrobert et Lebœuf
31 octobre : occupation de Dijon
2 novembre : début du siège de Belfort, gouverneur Denfert-Rochereau
3 novembre : capitulation de Verdun
10 novembre : les Français reprennent Orléans
19 novembre : St. Quentin capitule
24 novembre : Thionville capitule
30 novembre au 2 décembre : violentes contre-attaques françaises à Paris
5 décembre : seconde occupation d'Orléans et chute de Rouen
9 décembre : retrait du gouvernement de Tours à Bordeaux
14 décembre : capitulation de Phalsbourg et de Montmédy

 

Année 1871
2 janvier : victoire française à Bapaume
3 janvier : capitulation de Mézières
5 janvier : les Allemands bombardent Paris
18 janvier : proclamation de l'empire allemand à Versailles
19 janvier : Trochu attaque à Paris pour libérer Versailles ; échec
22 janvier : Bourbaki se retire sur Pontarlier
25 janvier : capitulation de Longwy
26 janvier : signature à Versailles de l'armistice
29 janvier : les Allemands occupent les forts de Paris
2 février : l'armée Bourbaki passe en Suisse
4 février : réactions anti-françaises de Karl Marx à Londres
16 février : reddition: de Belfort sous la pression de Manteuffel
17 février : Adolphe Thiers, chef de l'exécutif
26 février : signature des préliminaires de paix
2 mars : entrée des troupes allemandes à Paris
12 mars : la forteresse de Bitche se rend après un siège de presque 8 mois
21 mars : proclamation de la Commune a Paris
10 mai : signature du traité de Francfort par Jules Favre et Bismarck
20 mai : ratification du traité par la France
21-28 mai : Mac-Mahon écrase la Commune à Paris
9 juin : incorporation de l'Alsace-Lorraine dans l'empire allemand
12 octobre : convention additionnelle au traité de Paix

 

Année 1873
24 mai : démission d'Adolphe Thiers ; Mac-Mahon président de la République
1 août : évacuation de Nancy, Epinal et Belfort parles Allemands
13 septembre : évacuation de Verdun, tin de l'occupation
8 décembre : Bazaine condamné à mort, il s'enfuit et trouve asile en Espagne.

 

Les événements de 1870/71 dans les Vosges

Apres la proclamation de la République le 4 septembre 1870, le préfet du département des Vosges, Emile Georges, traduisit l’enthousiasme des habitants de cette région. Il appela à Epinal des corps-francs et des francs-tireurs. Le maire d'Epinal, Christian Kiener, vit cela avec beaucoup d'inquiétude. Citons également 1'activité du lieutenant-colonel Alfred Braun, organisateur de la compagnie des francs-tireurs alsaciens, qui combattit, fin septembre 1870, dans les Vosges. Après la prise de Strasbourg, le gros de la 13e armée allemande, sous le commandement du général Werder, franchit les Vosges par les cols du Bonhomme et du Donon, fin septembre 1870, sans rencontrer de résistance. Elle s'engagea dans la vallée de la Meurthe. Les forces françaises du secteur, sous l'ordre du général Cambriels, se regroupèrent à Epinal et avancèrent vers St. Dié. Cette formation, rejointe le 5 octobre par le général Dupré, envisagea un moment d' avancer vers Raon 1'Etape et Etival, de remonter la vallée de la Plaine et d'atteindre dans la soirée le col du Donon. Mais Dupré rencontra les avant-postes de Werder des la matinée, près d'Etival. Le 6 octobre, cinq mille hommes furent engagés de part et d'autre. L’artillerie allemande, très efficace, tailla des brèches sanglantes dans les rangs français qui durent se retirer. Ainsi, le département des Vosges fut entièrement occupé par les Allemands. Après ses revers, le général Cambriels fut remplacé par Garibaldi, l’aventurier des Chemises Rouges italiennes, pour libérer les Vosges. Mais sans succès... Belfort se rendit le 16 février 1871 après une résistance héroïque de 73 jours sous les ordres du colonel Denfert-Rochereau et les Allemands accordèrent à la garnison (12 000 soldats) une sortie avec les honneurs.

 

L'armistice

L'armistice du 26 janvier 1871, ne fut pas valable pour l’Est où les combats continueront dans cinq départements. Des élections pour la désignation des députés furent prévues dans toute la France le 18 février

1871, y compris en Alsace et Lorraine, menacées d'annexion. Elections très importantes, les Français devant opter pour la guerre ou la paix, pour la République ou pour le retour a la Monarchie. D'autre part, les nouveaux députés devaient choisir un gouvernement capable de traiter avec les Allemands. Une large majorité royaliste se dégagea (430 contre 200 républicains) ainsi qu'une majorité pour la paix. Dans les départements de 1'Est, la participation fut très élevée, les élus surtout favorables à la poursuite de la guerre. Gambetta fut élu député du Bas-Rhin, dans les Vosges, ce fut Jules Ferry. Dans les départements du Rhin et de la Moselle, la fièvre monta, la menace d'annexion se précisant. La nouvelle assemblée nationale se réunit à Bordeaux le 13 février. Emile Keller, député du Haut-Rhin y lut une déclaration solennelle des élus des départements de l'Est, revendiqués par l'Allemagne. Le 17 février, Adolphe Thiers fut proclamé président de la République et forma un gouvernement avec Jules Favre aux affaires étrangères. Le président Thiers rencontra Bismarck le 21 février à Versailles, celui-ci lui dicta les revendications allemandes : perte de l'Alsace, d'une partie du département de la Moselle et de la Meurthe, indemnité de guerre de 6 milliards de francs-or. On sait que Thiers parvint à faire détacher Belfort du département du Haut-Rhin contre quelques compensations en Lorraine (mines de fer) et à faire réduire de 6 à 5 milliards l’indemnité de guerre. Le 26 février, Thiers signa les préliminaires de paix dont l'article 1 énumère les territoires  : les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin sauf l’arrondissement de Belfort, les arrondissements mosellans de Metz, Thionville, Sarreguemines et les arrondissements de Sarrebourg et Château-Salins du département de la Meurthe et deux cantons du département des Vosges (Schirmeck et Saales). Le 1er mars, les préliminaires sont ratifiés par 546 voix contre 107. Jules Grosjean, député du Haut-Rhin, monta a la tribune et lut la célèbre protestation des représentants de l'Alsace et de la Lorraine annexées. Les trente-cinq députés des territoires cédés quittèrent la séance et donnèrent leur démission. Le soir même, Emile Kuss, le député-maire de Strasbourg, succomba à un malaise cardiaque.

Entre-temps, les préparatifs pour la conclusion d'un traité de paix se poursuivirent à Bruxelles, en territoire neutre. Deux questions restèrent a régler d'urgence : les modalités de paiement de l’indemnité de guerre et la délimitation des nouvelles frontières. C'est surtout l'étendue du rayon de la forteresse de Belfort qui posa problème. Les Allemands proposeront 5 km autour de la place forte, les Français revendiquèrent tout l'arrondissement de Belfort et au moins un rayon de l0km. Bismarck céda à Belfort, mais ces concessions furent compensées par des échanges en Lorraine, dans une région minière très industrialisée.

Début mai 1871, les Allemands, pressés d'aboutir à un traité de paix définitif, proposèrent une rencontre au plus haut niveau à Francfort. C'est Jules Favre, ministre des affaires étrangères, qui affronta Bismarck, le 6 mai. En quatre jours, sous la pression et les menaces allemandes, tout fut réglé, le traité de Francfort signé le 10 mai. Il resta a engager la ratification par l'assemblée nationale qui fut acquise le 18 mai par 433 voix contre 98. L'A1lemagne annexa a son territoire 1 447 000 ha, 1694 communes et l 597 000 habitants. Une frontière nouvelle sépara la France de l'Alsace-Lorraine : longue de 285 km, partant du Luxembourg (région de Longwy), coupant la région minière du nord au sud, elle traversa le plateau lorrain d'ouest à l'est jusqu'au Donon, suivit la crête des Vosges jusqu'au Ballon d'Alsace et rencontra, direction Est, la frontière suisse près de Delle.

 

 

La frontière franco-allemande d après le traité de Francfort.

 

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Borne et poteau-frontière

 

LA NOUVELLE FRONTIERE ETL'AFFAIRE DES DEUX RAON

Après la signature de la paix, subsistèrent deux problèmes dans la région : le problème d'Ygney et d' Avricourt et du chemin de fer de Cirey, ainsi que la question de l'annexion des deux Raon dans la vallée supérieure de la Plaine.

Le litige d'Ygney-Avricourt et de Cirey fut réglé par une convention additionnelle du 12 octobre 1871. L'Allemagne rétrocéda la commune d'Ygney et une partie d'Avricourt. Par contre, les Allemands firent construire, au frais des Français, une nouvelle station de chemin de fer. Cette gare existe encore actuellement et présente une curiosité pour les voyageurs avertis utilisant la ligne Paris-Strasbourg.

La même convention «régla » la question des deux Raon en rétrocédant les deux villages à la France, exclusivement de toute propriété domaniale, ainsi que des propriétés communales et privées enclavées dans le territoire domaniale (art. 10). La conséquence fut désastreuse : Raon-sur-Plaine perdit 700 ha de forêts, il lui resta seulement 352 ha. Raon-les-Leau  perdit beaucoup plus : sur une superficie de l303 ha, on lui «vola» 1193 ha, donc les 9/10e de son territoire.

Mais examinons en détail le déroulement de cette procédure après l870qui a abouti à cette situation scandaleuse qui existe encore de nos jours.

Les préliminaires de paix, signés le 26 février 1871,  spécifièrent dans leur article 1 concernant les territoires revendiques par les Allemands et spécialement les futures frontières dans la région de Sarrebourg: «... la démarcation coïncide ensuite avec la frontière de l'arrondissement de Sarrebourg jusqu'à la commune de Tanconville [au nord de Cîrey] dont elle atteint la frontière au nord, de là, elle suit la crête des montagnes entre les sources de la Sarre Blanche et de la Vezouze jusqu'à la frontière du canton de Schirmeck [à Raon-sur-Plaine], longe la frontière occidentale de ce canton, embrasse les communes de Saules, Bourg-Bruche, Colroy-la-Roche, Plaine, Ranrupt, Saulxures et Saint-Blaise-la-Roche du canton de Saales...». Il y a lieu de s'arrêter à présent sur cette  notion de «nouvelle frontière» qui, à partir de l'ancien canton de Lorquin, laissa à la France les communes suivantes de ce canton : Tanconville, Bertrambois, Cirey, Nonhigny, Val-et-Châtillon, Petitmont. Parux et Saint-Sauveur. Ces communes sont situées sur le versant de la Vezouze c'est-à-dire hors de portée des revendications allemandes.

Raon-les-Leau fut annexé avec les autres communes du canton de Lorquin tout comme Turquestein, sa voisine. Sans parler des visées stratégiques et économiques, cette annexion eut peut-être une raison géographique : Raon-les-Leau  possédait dans son ban les sources de la Sarre Blanche et le versant Est de la Chaume de Réquival qui envoie l'eau de ses sources vers la Sarre Blanche. Bien sûr, on peut rétorquer que dans ce même territoire se trouve aussi une partie des sources de la Vezouze (versant nord de la Charaille).

Pour Raon-sur-Plaine, le fait que cette commune fit partie avant 1870 du canton de Schirmeck peut expliquer son annexion. Il est extrêmement curieux qu'en 1802, lors du transfert d'Allarmont, Luvigny et Vexaincourt

 

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La nouvelle frontière entre la Plaine et la Bruche.

au canton de Raon-l'Etape, on «oublia» Raon-sur-Plaine, située comme les trois autres communes dans la vallée supérieure de la Plaine. Ceci aurait peut-être évité, au moins à ce village, les événements malheureux après la défaite.

Les raisons avouées par les Allemands pour justifier l'annexion de ces deux villages situés sur le versant occidental des Vosges, donc  hors de la ligne de partage admise comme frontière dans les Vosges, sont bien connues. Lors de la signature des préliminaires, une carte fut jointe aux documents signés par Jules Favre et Bismarck, qui marqua, «au liseré vert» (14), la nouvelle frontière proposée, englobant les deux Raon au territoire revendiqué. Cette carte célèbre, publiée en septembre 1870 avait pour auteur le lieutenant Liebenof, topographe allemand  réputé, sous l'autorité directe du général Moltke. On n'a jamais pu avancer des raisons d'erreurs de tracé ou  une échelle trop petite de cette carte: l'annexion de ces deux villages fut bien voulue par les vainqueurs. Le motif officiel invoqué par les Allemands, fut la nécessité d'une liaison routière entre Schirmeck et Lorquin passant par les deux Raon (le chemin d'Allemagne, Lafrimbolle et Niederhoff). Les routes actuelles du col du Donon vers Abreschviller et vers la Sarre Blanche (Turquestein) n'étant pas encore construites en 1870. Celle d'Abreschviller était en chantier; il manquait à peine 1 km ; celle de la Sarre Blanche s'arrêtait à Turquestein, à la hauteur de la maison forestière de la Malcôte. Mais le chemin proposé par les Allemands pour rallier Lorquin, l'actuel Chemin d'Allemagne, était et est encore aujourd'hui, surtout le tronçon Raon-les-Leau – Col du Roule Bacon, un chemin très raide, quasi impraticable (15). Mais la raison essentielle des vainqueurs fut, sans doute, l' importance stratégique du Col du Donon, avec sa descente vers la vallée de la Plaine (la D392 actuelle), contrôlant la voie naturelle St. Dié - Lunéville.

Mais suivons de près les discussions engagées après la signature des préliminaires. La Commission mixte de la délimitation de la «nouvelle frontière» se réunit fin mars 1871 à Bruxelles. Elle se composait, côté français, du général Doutrelaine, du colonel Laussedat ainsi que de Gustave Renaud ; côté allemand, du général von Strantz, de l’ingénieur des mines Hauchecorne et de 1'assesseur Herzog. Hauchecorne, descendant d'émigrés français se comporta en personnage encombrant, souvent agressif, qui eut des discussions vives et blessantes surtout avec le colonel Laussedat. Ce dernier laissa un ouvrage détaillé sur ces pourparlers (16). On sait qu'il fut un défenseur acharné des intérêts français et on lui doit certainement la solution favorable aux deux Raon qui fut trouvée en octobre 1871.

Le 5 mai de la même année, la commission tint sa dernière séance à Bruxelles, avant de s'installer à Francfort où se préparait le Traité de paix. Elle traita principalement de la question de Belfort. Les deux Raon ne furent pas évoqués. Mais le colonel Laussedat veillait au grain : il souleva, pendant les discussions, la question de nos deux villages et proposa que la frontière fût ramenée au sommet du Donon, ce qui eut libéré entièrement le territoire des deux Raon. Un non farouche à cette idée fut opposé de la part des commissaires allemands. En désespoir de cause, Laussedat rédigea un deuxième projet de délimitation, qui fut remis a Bismarck (17), le jour même de la signature du Traité de Francfort. Ce document était accompagné de quatre notes ainsi que d'une lettre signée par Jules Favre. De cette dernière le passage suivant concerne notre région : «A partir du point où le chemin de fer d'Avricourt à Cirey rencontre la limite occidentale de la commune d'Igney, la ligne de démarcation se confond avec cette limite; elle reprend ensuite la frontière de l'arrondissement de Sarrebourg  jusqu'à Tanconville ; suit la limite Nord, respectivement Est des communes de Tanconville, Bertrambois. Cirey et le Val, qui coïncide à peu près exactement avec la crête des montagnes entre les vallées de la Sarre Blanche et de la Vezouze; longe la limite septentrionale de la commune de Raon-lès-Leau jusqu'au pied du Donon, gravit la ligne de faite ; traverse la plate-forme du Donon et la Corbeille, où elle se rattache à la frontière occidentale du canton de Schirmeck... »

Ce document était accompagné de quatre notes avec cartes (A à D). La note C concerne la région du Donon  et les deux Raon ; «La route qui part de Schirmeck et.se dirige sur la val1ée de la Plaine, du versant occidental des Vosges, franchit la crête de ces montagnes au col de la Plate-forme du Donon, à l’altitude de 737mètres. Il existe heureusement de l'autre côté du sommet du Donon, c'est-à-dire de cette montagne, un col dont l'altitude est de 707 mètres seulement. Il serait donc parfaitement possible de construire une nouvelle route partant de Schirmeck et se dirigeant par ce col, sur la vallée de la Sarre Blanche. Cette communication serait plus directe que la route existante, et relierait mieux entre eux les cantons de Schirmeck et de Lorquin ; elle laisserait entièrement libre le territoire des communes de Raon-lès-Leau et de Raon-sur-Plaine, dont tous les intérêts sont français et qui dépendent géographiquement, de la vallée de la Plaine et du canton de Raon l'Etape, comme l’indiquent surabondamment les appellations de ces localités. La France, pourrait, à la rigueur, se charger de la construction de la nouvelle route tracée en bleu sur la carte C. »

 

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Plan Laussedat, remis à Bismarck, le 10 mai 1871, proposant une nouvelle route contournant le Donon par l'Est.

Il y a malheureusement dans cette note C des erreurs qui ont pu défavorablement influencer les autorités allemandes : le col proposé, au nord du Donon, est le col Entre-les-deux-Donon; ce passage n'est pas à 707m, mais à 822 m d altitude. On peut penser que Laussedat a indiqué, lui, la hauteur du petit col entre le Petit Donon et le Kohlberg qui se situe a797 m..A la fin de son ouvrage, Laussedat reconnait d'ailleurs son erreur (18) et que le col est à 797 m (difficulté de lire les cotes sur les cartes à hachures). Le col proposé est donc presque 100 m plus haut que le col de la plate-forme du Donon (737 rn). Cette erreur, peut-être involontaire de la part de Laussedat, ne dut pas échapper au lieutenant Liebenof. La nouvelle route  proposée, aurait d'autre part, contourné le Donon par l'Est en empruntant depuis le pont de Mousse, la vallée de la Goutte du Marteau pour rejoindre le col Entre-les-deux-Donon. Le Grand Donon serait resté partiellement en France : condition inacceptable par les Allemands ! Or ce sommet, on le sait, fit déjà partie avant l870 et fait toujours partie aujourd'hui du territoire de Grandfontaine. En lisant Laussedat, on peut se demander s'il ignorait vraiment cette réalité... Récemment encore, nous avons rencontré des personnes, connaissant très bien la région, qui nous affirmèrent que le Donon appartenait avant 1870 à la commune de Raon-sur-Plaine ! Cent-vingt ans est une longue période et le Donon est tellement présent, tellement symbolique dans cette vallée, que cela peut expliquer la méprise.

Bismarck, en recevant les documents de la main de Jules Favre, promit d'examiner ce dossier et de donner satisfaction sur des points qui ne «nuisaient pas les intérêts de l'Allemagne». Le 18 mai, lors de la session Parlementaire de la commission du traité de Paris, Laussedat revint à la charge concernant les deux villages.

En pure perte sans doute car il semble que les responsables français, politiques et militaires, n'eurent pas conscience de l'importance stratégique et économique des deux Raon, sans parler des problèmes humains (19). A l'assemblée nationale, Steinheil, député des Vosges, déclara que les cinq députés de ce département vont s'abstenir lors du vote pour la ratification du traité de Francfort : leur département étant amputé par l'annexion du canton de Schirmeck et d'une partie du canton de Saales. Le traité tut ratifié le 18 mai. La commission mixte se réunit une nouvelle fois le l2juin à Metz pour régler les menus litiges qui existaient encore pour le tracé de la nouvelle frontière, entre autre celui des deux Raon. Dans un télégramme, daté du l3 juin, provenant des services diplomatiques de Bismarck, on apprit que le chancelier serait prêt à examiner la question d'lgney-Avricourt ainsi que celle des deux Raon.

Entre-temps, les deux villages firent partie du territoire annexé. Le maire de Raon-les-Lean, Vincent Joseph, fut très vite dans le collimateur de l’administration allemande. Déjà les 16 et l9 mars 1871, le percepteur de Lorquin et le sous-préfet de Sarrebourg demanderont au maire de se conformer aux directives allemandes. Le 29 mai, le même sous-préfet avertit le maire de n'obéir dorénavant qu'aux prescriptions des autorités allemandes, et l'informa d'autre part que le budget de la commune serait arrêté par le préfet allemand de Metz et que les contributions seraient à payer au percepteur de Lorquin. Cruel dilemme pour le brave maire de Raon-lès-Leau qui recevait en même temps des consignes du sous-préfet français de Lunéville et du sous-préfet allemand de Sarrebourg.

Le 17 juin, le directeur allemand des postes a Abreschviller informa le maire que le bureau  local de Raon- lès-Leau serait desservi par ses soins, donc défense au facteur français d'effectuer la levée du courrier. Le 5 juillet, le percepteur de Lorquin confirma au maire l'annexion de sa commune au Reichsland. Mais le7 juillet, n'ayant pas remis la clef de la boîte aux lettres au facteur allemand, le maire fut arrêté par trois gendarmes prussiens. Il passa la nuit gardé dans une grange à Raon-sur-Plaine et fut conduit le lendemain à la prison de Sarrebourg. Apres une courte entrevue avec le sous-préfet de cette ville, il fut remis en liberté. Le jour même, des soldats allemands cherchèrent a arrêter le facteur f français qui avait, entre-temps, disparu dans la nature avec la fameuse clef en poche !

Le colonel Laussedat qui se tourmentait continuellement à cause des deux litiges en suspens et excédé par la tournure prise, adressa le 14 août un mémoire détaillé à Chevandier de Valdrôme, administrateur de la Société de Cirey-Montluçon-St. Gobain (manufacture de verres et glaces) et ancien député de la Meurthe. Dans ce mémoire, Laussedat énuméra ses raisons pour obtenir des Allemands la restitution des deux Raon à la France. Son but était d'ameuter les députés des départements de la Meurthe et des Vosges afin qu'ils interviennent énergiquement chez Thiers, président de la République. Dans son mémoire, le colonel dénonça les prétextes mis en avant par les Allemands pour annexes les deux Raon. Laussedat avança alors le projet d'une route allant du col du Donon, par le revers de la côte de l'Engin vers la vallée de la Sarre Blanche (l'actuelle D 993). Il cita, d'autre part, la route de la Sarre Rouge vers Abreschviller, presque terminée. Le colonel abandonna ainsi son projet initial d' une route contournant le Donon. Il termina le document par un rappel angoissé de l'enjeu : «Dans tous les cas, il serait on ne peut plus regrettable d'abandonner le col du Donon et les villages qui ouvrent la vallée de la Plaine à l'ennemi ».

En juillet l87l, ce furent les habitants de Raon-sur-Plaine qui adressèrent un appel à leurs élus vosgiens : «Messieurs les députés, la commune de Raon-sur-Plaine est la seule du canton de Schirmeck qui soit située du côté français de la ligne des crêtes adoptée comme ligne frontière et ce ne peut être que par suite d'une fatale erreur des négociateurs français qu'elle n 'a point été conservée à la F rance, en même temps que les communes voisines du canton de Lorquin, département de la Meurthe, qui se trouvaient dans les mêmes conditions.

Lors de la ratification du traité de paix par l'Assemblée nationale, nous avions repris courage, puisque le rapport de M. le vicomte de Meaux exprimait l'espoir que notre commune pourrait, par suite d'arrangements nouveaux, être rendue à la France.

Cependant les jours s'écoulent, et chacun vient apporter une aggravation à notre condition. Les autorités allemandes prennent définitivement possession du pays et veulent même s'emparer de la commune voisine de Raon-lès-Leau, dans le département de la Meurthe, restée française d'après les préliminaires et le traité de paix.

Nous venons donc nous adresser à vous tous, nos représentants, et vous demander un nouvel effort commun en notre faveur.

Tous nos intérêts, nos relations commerciales, civiles et de famille nous rattachent au canton de Raon-l'Etape bien plus qu'à celui de Schirmeck, dont nous sommes séparés par le Donon et la chaîne des Vosges ; nos cœurs sont et seront toujours français. La germanisation de notre commune blesserait à la fois tous nos sentiments et nos intérêts les plus chers.

Elle serait d'ailleurs un grave préjudice pour la France, car elle livrerait, sans aucune défense possible, la gorge de la vallée de la Plaine aux années allemandes, si ces dernières voulaient envahir le pays par la route du Donon à Raon-l’Etape.

Nous mettons, Messieurs, toute notre confiance dans votre sollicitude pour les intérêts du pays que vous avez promis de défendre. Mais le temps presse, on annonce l'arrivée dans nos pays des commissaires chargés de la délimitation définitive, et si notre cause peut être gagnée, elle doit l'être avant qu'ils n'aient consommé leur œuvre».

Suite aux revendications françaises, Bismarck demanda au maréchal Moltke de constater de visu la situation des deux Raon. Ce dernier se rendit, le 2 juin 1871, avec un groupe d'officiers et de géomètres au pied du Donon. On connaît exactement l'endroit où il établit son camp: près de la borne frontière n°2008, non loin de la ferme du Glacimont, sur la D 392 actuelle qui descend vers Raon-sur-Plaine. La carte topographique de l'I.GN. au 25000e (n° 3616 Est) indique encore l'endroit «Tilleul de Moltke», bien que l'arbre ait disparu depuis fort longtemps. Après s'être fait expliquer la situation, Moltke aurait conclu : «Messieurs rendons aux Français ces deux pauvres villages..., mais gardons ces magnifiques forêts qui nous permettront un contrôle de la vallée ».

Le 10 septembre, Laussedat écrivit de St. Dié, au général Doutrelaine que d'après Jules Ferry, député des Vosges, la cause des deux Raon est en bonne voie. En effet, le comte Amim, ambassadeur allemand à Paris, fut envoyé par Bismarck à Versailles pour aplanir les dernières difficultés avec la France. Laussedat suggéra à Doutrelaine d’intervenir d’urgence auprès des autorités françaises pour la question d'Igny-Avricourt et les deux Raon, cette rencontre étant une occasion et peut-être la dernière (20). Paris prit au sérieux l'intervention de Doutrelaine, Pouyer-Quertier, ministre des finances, négocia à Berlin, soumit à Bismarck les deux questions territoriales. Le 12 octobre fut alors signée une convention additionnelle au Traité de paix par laquelle les Allemands rétrocèdent les communes de Raon-les-Leau et Raon-sur-Plaine à la France, à l’exclusion toutefois de toute propriété domaniale. La rétrocession de ces deux villages démentit définitivement les prétextes avancés par les Allemands (liaison Schirmeck-Lorquin) lors de l’annexion.

La joie des habitants des deux Raon de pouvoir réintégrer la mère patrie fut immense ; joie mitigée toutefois à cause de la confiscation des propriétés domaniales qui restèrent, suivant la convention, acquises aux Allemands soit neuf dixièmes de la superficie de Raon-les-Leau et deux tiers de celle de Raon-sur-Plaine..

Les territoires perdus par Raon-les-Leau (1193 ha) concernent surtout la forêt domaniale de St. Sauveur : le revers occidental de la côte de l'Engin avec les sources de la Sarre Blanche, le Haut du Bon-Dieu, la Côte de l'Eglise, la Malcôte, la Chaume de Réquival et la Charaille jusqu'à la Basse Verdenal. Le ruisseau de la Plaine forma, en aval du pont des Chaudes Roches, la limite avec Raon-sur-Plaine. A l'ouest, une «fenêtre» de 3 km permit à Raon-les-Lean d'assurer une liaison avec Bionville.

Les terres confisquées à Raon-sur-Plaine (700 ha) comprennent la totalité du territoire au sud de la Plaine, à partir de ses sources jusqu'au pont des Chaudes Roches, soit la forêt domaniale du Cheval Crevé, la plate-forme du Donon, le bois autour des deux fermes de l'Abraye (Bois Sauvages), la Crache et le Haut-Rein, ainsi qu'une partie de la Hazelle. Ont été désenclavées de ce territoire les deux tenues de l'Abraye et le domaine de la ferme du Glacimont.

 

La ferme du Glacimont (en allemand « Ulrichshof »)

Avec ce règlement, subsista également la question des scieries, fermes et maisons de gardes enclavées dans le territoire domanial. Pour ne pas être annexées, ces familles durent abandonner ces lieux où ils vécurent durant des générations. Laussedat écrit le 25 octobre à Doutrelaine : «on nous rend deux villages pauvres, on garde de riches forêts et le col du Donon».
Le30 octobre, le maire de Raon-sur-Plaine adressa, au Préfet des Vosges, une lettre de joie et de remerciements : «Grâce aux efforts de Monsieur le Président de la République, de Monsieur Pouyer-Quertier, de Monsieur de Rémusat er surtout de Monsieur Jules Ferry, notre député, nous voici rendus à la Mère Patrie. C'était là notre premier et plus légitime vœu. Aussi ne pourrons-nous jamais exprimer suffisamment notre reconnaissances à ces nobles représentants de la France.»
Le curé de Raon-sur-Plaine, l'abbé Fortier, transmit le 3 novembre une lettre très chaleureuse de remerciements à Laussedat pour ses efforts et démarches en faveur des deux Raon. Il finit ses lignes par la phrase suivante : «Chez nous la mémoire du cœur ne sera pas courte, le nom du colonel Laussedat sera toujours béni dans notre contrée». Une délibération du conseil municipal du même village exprima également à Laussedat la reconnaissance pour son engagement. Laussedat reconnut que ces deux témoignages de reconnaissance furent, à peu près, les seuls après l’accomplissement de sa mission (21). En fait de reconnaissance et de souvenir, existe-t-il au moins une rue Laussedat dans l'un des deux villages ? Le 6 novembre, Laussedat promit au curé de Raon-sur-Plaine de s'occuper personnellement du cas des propriétés privées, surtout des maisons forestières enclavées dans les forêts annexées par les Allemands. Dans une autre lettre, datée du 13 novembre, il s'adressa à Me Rambaud, avocat à Epinal, qui s' inquiétait de l' avenir de la ferme du Glacimont, pour le rassurer que ce domaine resterait à la France et il termina sa lettre par ces lignes : «Je ne crois pas d'ailleurs avoir besoin de vous assurer que je regrette autant que vous la solution bâtarde de la question des deux Raon. Je suis tout à fait de votre avis, il faudrait racheter les forêts domaniales et je l'ai proposé dans un mémoire qui a été mis ou qui a dû être mis sous les yeux des négociateurs français…».
Une dernière modification du  tracé de la nouvelle frontière, concernant les deux villages, eut lieu lors de la convention franco-allemande des 28 et 31 août 1872. Lors de la fixation des limites, après la rétrocession des deux Raon à la France, l'Allemagne garda les trois immeubles suivants appartenant à l'Etat:
- la scierie des Prêtres à l'extrême ouest de Raon-les-Leau,
- la scierie l'Abl›é au nord du village, dans le vallon de Réquival,
- la maison forestière de la Charaille, au nord-ouest du même village.
Ces trois enclaves allemandes, assez réduites, en territoire français provoquèrent des difficultés pour la surveillance et furent donc rétrocédé à la France. En revanche, l'Allemagne avait annexé, en compensation trois autres parcelles :
_ au nord de la scierie l'Abbé, les prés de l'Abbé,
_ au nord-est de la scierie du Donon, dans la vallée supérieure de la Plaine, également des prairies,
_ au sud-est de la scierie domaniale de la goutte Guyot, sur le territoire de Raon-sur-Plaine, les prés du Chaud Four.

ABORNEMENT DE LA NOUVELLE FRONTIERE
La délimitation matérielle de la nouvelle frontière, eu lieu de juillet il septembre 1871. Les travaux furent menés par des commissaires et toujours en présence des maires des communes concernées. Le responsable de cette délimitation, côté français, fut le colonel Laussedat ; les Allemands désignèrent, quant à eux, 1'ingénieur Hauchecome. Que de difficultés en perspective entre ces deux hommes que rien ne rapprochait et pour un travail où des milliers de détails durent être résolus. La reconnaissance de la limite ne fut pas facile: on dut abattre des arbres, débroussailler, vaincre des pentes raides, laisser un couloir de deux mètre de largeur. De nouvelles bornes furent implantées le long de cette nouvelle limite, à environ tous les 100 m en ligne droite. Ces bornes, uniformes sur tout le tracé, en grès rouge dans sa partie nord, en granit sur les Vosges du sud, ont toutes les mêmes caractéristiques techniques : 30 x 25 cm de section, une hauteur hors sol de 60 cm (environ 50 cm étant enfouis dans le sol). Sur le sommet un sillon directionnel indique le parcours de la frontière. Sur les flancs et en creux, la lettre F (France) côté France, et D (Deutschland) du côté des territoires annexés. Toutes portent un numéro ; la borne n°1 se trouve à la frontière luxembourgeoise (Redange), et la dernière (n°4056) à la frontière suisse (forêt de Pfetterhouse).
Une forte tension apparut dans les régions soumises à la délimitation : les habitants arrachèrent de nuit des bornes, des piquets et des balises. Gestes de désespoir de ceux qu'on livrait au vainqueur contre leur volonté (22). Vers le 15 août, le trace de la nouvelle frontière atteignit la Plaine à la limite des bans de Raon-les-Leau et de Bionville. La nouvelle ligne de démarcation fut terminée le 28 septembre en arrivant au nord de Belfort, à la frontière suisse. Par un procès-verbal de délimitation du 26 avril 1877, 1'accord des deux parties sur le tracé fut définitivement acquis.
Les bans de Raon-les-Leau et Raon-sur-Plaine furent donc profondément modifiés par ces opérations. La première borne, implantée dans 1' ancien ban de Raon-les-Lean, porte le n°1876. Elle se trouve dans la Basse Verdenal, sur la rive gauche du ruisseau de Châtillon, affluent de la Vezouze, à la limite du han de Turquestein, de Val et Châtillon et depuis le 1er mars 1873 de celui de Grandfontaine. Curieusement, une borne portant le même numéro se dresse sur l'autre rive du ruisseau. La ligne des bornes de cette invraisemblable et tortueuse frontière se termine par la borne n° 1996 qui se trouve sur la rive droite de la Plaine, au pont des Chaudes Roches. Entre ces cent vingt et une bornes, se situe au nord et à l'est, la partie des bois annexés en 1871, soit 1198 ha, en gros l’ancienne forêt de St. Sauveur.
Dans le ban de Raon-sur-Plaine, la première borne implantée, donc dans le département des Vosges, porte le n°1997” et se trouve sur la rive gauche de la Plaine près des vestiges de 1' ancienne scierie des Chaudes Roches. La dernière borne de ce tracé est marquée par le n°2121 ; elle est implantée au col de la Croix Brignon, point de jonction, avant 1871, des bans de Raon-sur-Plaine, Vexaincourt et Grandfontaine. Ces cent trente deux bornes englobent la partie annexée des forêts domaniales des Bois Sauvages (env. 700 ha), rattachées depuis 1873 au territoire de Grandfontaine. Nous avons énuméré plus haut les différentes partie de ces territoires des deux Raon, annexés après 1870.
Les Allemands aménagèrent deux points de passage «neutres» dans cette zone Le premier entre les bornes- frontières 1996 et 1997, au pont des Chaudes Roches, soit 170 m de longueur, sur les deux rives de la Plaine. Le deuxième passage se situa entre les homes 2008 et 2010 sur 520 m de longueur, le long de la route allant du col du Donon à Raon-sur-Plaine, pratiquement entre les fermes du Glacimont et de 1aBasse Abraye (ferme Oberlé). Ces passages furent surveillés par des gardiens de la douane, tant Allemands que Français et signalés par les poteaux-frontières bien connus (24). L'entretien de ces passages fut réparti entre les autorités françaises et allemandes. Il en fut de même pour 1'entretien et le remplacement des bornes-frontières : les Allemands eurent la charge des bornes n°1 à 2008 (du Luxembourg au Donon), les Français des homes n°2009 à 4056 (du Donon à la Suisse).
En examinant le tracé des limites des deux Raon en 1871, toujours en vigueur aujourd'hui, on est perplexe: il représente une vraie toile d'araignée, un tracé sinueux, parfois déconcertant, contraire à un tracé moderne, également très dangereux pour des frontières gardées et surveillées. Une preuve en est «l’affaire de Vexaincounrt » survenue le 24 septembre 1887 lorsqu'un habitant de Raon-les-Leau, Jean-Baptiste Brignon, fut tué par un soldat allemand, près de la borne-frontière 2127, mais sur territoire français, lors d'une partie de chasse. A l'endroit de ce drame, une simple croix en grès, toujours en place, fut dressée, et cette partie de la forêts s'appelle aujourd'hui encore la Croix Brignon ainsi que le col tout proche. Une autre conséquence de cette curieuse frontière : chaque jour, les fonctionnaires allemands, douaniers ou agents forestiers, traversèrent en uniforme et armés, les deux villages pour se rendre, pour motif de service, d'un point de la frontière à l'autre, au grand dam des habitants et des autorités élues des deux Raon !

 

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La ferme des Oberlé ou Basse Abraye.

LA NOUVELLE SITUATION ET SES CONSEQUENCES
Comment évoluèrent les deux Raon après l'annexion d'une grande partie de leur territoire ? Quelle était la position des habitants et des autorités face à cette situation nouvelle ? Comment évolua ce statut après 1918? Après 1871, il y eut tout d'abord une incidence financière sérieuse pour les deux villages. A la suite de l'annexion des forêts domaniales, ils perdirent les centimes afférent au volume de bois coupé dans ces forêts ; ces revenus couvraient, en grande partie, le budget des communes. Des le 18 février 1872, le conseil municipal de Raon-les-Leau adressa une demande d'aide financière au préfet du nouveau département de Meurthe-et-Moselle pour des réparations indispensables au bâtiment hébergeant 1'école. Le 19 septembre de la même année, le conseil transmit une autre demande pour la réfection de l'église en rappelant que l'annexion des forêts domaniales avait fait perdre à la commune une ressource annuelle de 4510 F. De 1872 à 1914, le département de Meurthe-et-Moselle vint en aide a la municipalité de Raon-les-Leau, en lui attribuant les subventions nécessaires à son existence. L’exploitation des 1193 ha de forêts annexées mit aussi à forte contribution les routes vicinales des deux Raon, les chemins furent bientôt entièrement défonces. Le maire de Raon-les-Leau, excédé par ces dégâts non remboursés, pris des mesures radicales, il fit couper par une tranchée le chemin de la Cbaraille nécessaire à ces transports et demanda, à l'autorité allemande le droit de péage de quelques centimes par mètre-cube transporté. Ce fut un tollé, presque un incident entre les deux pays : protestation furieuse de 1'Allemagne, avec refus brutal de payer une telle taxe vicinale. Le litige dura six mois et se termina par l'envoi des gendarmes français qui comblèrent la tranchée ! Mais c'était mal connaître le maire et les habitants de Raon. Le lendemain, une nouvelle tranchée fut creusée et devant une telle obstination, les Allemands acceptèrent de payer la taxe exigée (entre 0,10 et 0,15 f par m3). Elle fut réglée jusqu'à la guerre de 1914 et permit ainsi à la municipalité, dotée également d'une aide financière départementale, d'être plus à l'aise.
Vint 1918 et la victoire française. Les deux Raon pensèrent rentrer légitimement dans leurs biens avec le rétablissement des limites d'avant 1871. Une rectification de bon sens qui aurait dû se faire automatiquement. Vaine illusion des habitants des deux villages, on les oublia tout bonnement. Or aujourd'hui encore, les mêmes bornes-frontières, mises en place par les Allemands en 1871, délimitent le territoire des deux Raon, la partie annexée (env. 1900 ha) faisant toujours partie du territoire de Grandfontaine. Il s'agit vraiment d'une situation absurde, incompréhensible, révoltante.
Le cas est surtout tragique pour Raon-les-Leau qui est redevenue une commune assistée. Depuis 1919, la taxe de péage, extorquée aux Allemands, ne peut plus être exigée, Grandfontaine n'étant plus en territoire étranger, mais l'entretien des chemins communaux servant à la vidange des forêts reste à la charge exclusive de la commune. Le conseil municipal de Raon-les-Leau n'était pourtant pas resté inactif : dès le 24 novembre 1919, il avait demandé au préfet de Meurthe-et-Moselle, quelle suite a été réservée a sa demande du 30 mars relative au retour à la commune du territoire annexé en 1871. Sous la pression du conseil municipal et du conseil général, certains députés du département agirent dans ce sens et alertèrent les autorités parisiennes. Les ministres de l`intérieur successifs réagirent chaque fois, mais fréquemment de manière déroutante. Ainsi le 11 octobre 1927, le ministre répondit que les répercussions de la restitution des territoires réclamés seraient «de peu d'importante et négligeable» pour la commune de Grandfontaine, ce territoire n'étant pas habité et comprenant seulement des forêts et deux maisons forestières. Mais affirme-t-il, la demande du conseil général pose toute la question de la remise en état des communes, cantons et départements tels qu’ils existaient avant le traité de paix du 10 mai 1871. En clair, c'est trop demandé à l'administration de rétablir une situation injuste provoquée par une autorité ennemie sous prétexte d'une œuvre d'importance «considérable» !
Le conseiller général du canton de Cirey fit alors remarquer que l'on pourra, sans que la carte de France en soit bouleversée, restituer à une commune, cruellement mutilée dans son territoire, les quelques hectares inhabités, sans préjudice pour qui que ce soit (de l'avis même du ministre). Le 28 septembre 1931, le président du Conseil, Pierre Laval, et lui-même ministre de l'intérieur, préconisa, pour Raon-les-Leau, une solution radicale : «Si les habitants de Raon-les-Leau estiment que l'état actuel de la commune ne permet pas d'assurer le jeu normal de la vie municipale, ils peuvent demander sa suppression et la remise de son territoire à une ou plusieurs communes voisines. Cette prise de position officielle fit l'effet d'un coup de poing sur la population : c'était donc là la récompense de leur attachement a la France et pour tous les sacrifices consentis depuis 1871 ?
La municipalité, forte de ses droits, ne se laissa pas intimider. En 1935, elle demanda le versement d'une subvention égale aux redevances que rapporterait ce territoire annexé, avec rappel depuis 1919 (environ 10 000 f/an). Le ministre de l’intérieur demanda alors au Préfet de Meurthe-et-Moselle de consulter l'assemblée départementale sur l'opportunité d'engager une procédure de modification des limites territoriales prévues par la loi municipale du 5 avril 1884. Le conseil général se déclarant, à l’unanimité, d'accord pour engager la procédure prévue, le conseil municipal de Raon-les-Leau s'y rallia également. Avec enthousiasme et avec l'espoir de rétablir enfin la situation d'avant 1870; le préfet de Meurthe-et-Moselle, Roblot, prescrivit l’enquête d'usage et pria son collègue du Bas-Rhin d'organiser une enquête similaire dans la commune de Grandfontaine, propriétaire des forêts arrachées en 1871 aux deux Raon. Mais il y eut un obstacle de taille. La loi municipale de 1884 n'est pas applicable aux départements annexes après 1871, en l'occurrence au Bas-Rhin et donc à la commune de Grandfontaine !l Consulté, le ministre de l'intérieur garda un silence évasif et gêné.

 

 

Poteaux-frontière sur la route de Raon-sur-Plaine au Denon

Pendant la dernière guerre, la municipalité revint à la charge. Par lettre du 9 septembre 1942, le sous-préfet de Lunéville invita le conseil municipal de Raon-les-Leau à s'associer avec Raon-sur-Plaine. Les édiles du village rejetèrent vigoureusement cette proposition et dans onze paragraphes revinrent sur toutes les injustices subies par le village. Le procès-verbal conclut par la phrase très compréhensible vue la période: « que, si malgré tout, l administration supérieure veut effectuer ce changement, l'époque actuelle parait peu indiquée et qu'il serait profitable d'attendre la fin de la guerre».
Or, la fin de la guerre n'apportant aucune modification à la situation des deux Raon, le statu quo subsiste jusqu'à ce jour. Mais les municipalités avaient continué à se battre pour rentrer dans leurs droits. Ce fut surtout le cas de la municipalité de Raon-lès-Leau, la plus durement touchée. Lors de la session extraordinaire du conseil municipal du 22 janvier 1947, celui-ci déclina la proposition du sous-préfet d'augmenter les centimes additionnels de 376 en 1946 à 1545 pour 1947 (+ 411 %), étant donné que la subvention accordée par le conseil général ne serait plus reconduite pour 1947. Le conseil municipal réagit vigoureusement et constate amèrement «qu'il est navrant que pour le fait d'avoir refusé de devenir Allemand en 1871, les habitants de Raon-lès-Leau se voient aujourd'hui grevés d'impôts » (25). Constatant que la population du village de Raon-lès-Leau de 370 habitants en 1870 était encore de 104 en 1936, mais seulement 66 en 1946 (27 ménages, dont seulement 17 hommes), le conseil municipal demanda une subvention de 12129 F pour l'année 1947 afin d'équilibrer le budget communal. Le 25 mars 1948, le même conseil demanda au préfet de Meurthe-et-Moselle, une nouvelle indemnité annuelle, compensant la perte des redevances de ses forêts ; cette indemnité devrait être payée par la commune de Grandfontaine qui encaissait ces droits depuis 1919. Chaque année, ces mêmes problèmes se posèrent, sans trouver de solution, sauf des promesses non tenues. Des démissions du conseil municipal se suivirent devant une situation sans issue, mais en pure perte...
Le village se meurt tout doucement. Ainsi en 1965, Raon-lès-Leau comptait encore 51 habitants dont 9 enfants en âge scolaire. Les ressources de la commune ne permirent plus l'entretien des chemins, les réparations urgentes à l'église, à la conduite d'eau potable, au matériel d'incendie, aux bâtiments communaux, à la réfection des ponts, et à l'électrification des écarts. La municipalité commença alors a vendre des immeubles communaux pour renflouer les caisses.
Une démarche collective des deux communes fut effectuée le 30 juin 1961 par les représentants des deux Raon auprès du général de Gaulle lors de l'inauguration de St. Dié relevé de ses cendres. Le président de la République promit de s'occuper de cette situation anormale et demanda à 1' un de ses conseillers de prendre note et d'effectuer des recherches. La aussi, plus de nouvelles après cette visite présidentielle qui avait suscité tant d'espoir.
En 1981, une nouvelle majorité sortie des urnes, un nouveau gouvernement se mit en place. Des contacts se nouèrent, des promesses d'intervention furent exprimées, des hommes nouveaux montèrent au créneau (conseillers généraux, députés). Au début de 1985, le conseiller général du canton de Cirey informa un député du département de la situation de Raon-lès-Leau, la désignant comme la commune «la plus pauvre de tout le département». Une preuve : depuis des années, le maire et l'adjoint renoncent a leur indemnité, beaucoup de travaux d'entretien sont assurés gratuitement par les membres du conseil municipal, afin de ménager un budget au déficit chronique. Le conseiller général expliqua aussi les raisons de cette situation : 1' annexion en 1871 des forêts domaniale: et transfert de l'usufruit de ces territoires au profit de la commune de Grandfontaine. Il affirma pour conc1ure: «Un dossier très sérieux avait été établi par l'ancien maire, dossier certainement oublié dans les cartons des ministères. Il conviendrait de reprendre cette question au plus haut niveau, à savoir celui du ministre de l'intérieur et celui de la présidence de la République. Si aucune rectification de limite territoriale

 

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Carte des pertes territoriales des deux villages.

de commune ne peut être faite à cause du traité de 1871 (ce qui reste à prouver), il semble normal et juste que la perte des ressources de la commune soit compensée par une dotation globale de fonctionnement. Le député sollicité confirma au maire de Raon-lès-Leau qu'i1 est intervenu auprès du ministre de 1' intérieur. Par lettre du 9 mai, le ministre transmit au parlementaire les lignes suivantes : «Par lettre du 18 avril 1985, vous m'avez transmis une correspondance du  maire de Raon-lès-Leau, relative à la situation financière de cette commune et qui sollicite une augmentation du montant de la dotation globale de fonctionnement qui lui est allouée. Je fais procéder à l’examen de cette affaire et ne manquerai pas de vous tenir informé de la suite qui pourra lui être réservée ». Encore un enterrement de 1ère classe, malgré une augmentation relative des subventions de la commune. En fait, il ne s'agit pas seulement d’une question financière pour boucler un budget, mais avant tout de la réparation d'une situation créée après la défaite de 1871.
Tous les fonctionnaires et élus s'abritent en fait derrière cette fameuse loi municipale du 5 avril 1884 qui n'est pas applicable aux départements annexés en 1871 (dont Grandfontaine). Mais même dans cet imbroglio juridique, rien n'est impossible. Nous avons vu, récemment à Strasbourg, grâce à l'intervention énergique d'un parlementaire,  l’annulation d'une loi, datant du 21 juillet 1922, prévoyant 1'expropriation par la ville des immeubles situés dans la «zone non aedificanti», la fameuse ceinture verte mise en place par les Allemands après 1871. Cette loi fit 1'objet de contestation et de manifestations depuis de nombreuses années. Il s'agirait donc de trouver un parlementaire décidé dans l'un des deux départements, qui sait frapper à la bonne porte et qui, par une décision politique, pourrait faire rendre à ces deux communes les territoires qui leur ont été arrachés en 1871.
Doit-on souligner que les deux villages de Raon-lès-Leau et Raon-sur-Plaine ont perdu une partie notable de leur territoire, à cause de leur fidélité courageuse à la mère-patrie ? Si après cette guerre désastreuse pour la France, les habitants n'avaient pas réagi et accepté 1'annexion, ils seraient aujourd'hui encore en possession de leur territoire d'avant 1870. Cent-vingt ans après, i1s payent le prix amer d'une fidélité à toute épreuve. Ces deux villages n'ont-ils pas droit a une justice qui mettra enfin un terme à une situation inique (26).

Notes :
1. MARICHAL (Paul), Dictionnaire topographique des Vosges, 1941.
2. MARICHAL (Paul), A propos du Rabodeau in Bulletin de l'Archéologie Lorraine, 1912, p. 76-83.
3. LEPAGE (Henri), Dictionnaire topographique du département de la Meurthe. 1862.
4. Abbé C1-1A'I'1`ON, Histoire de 1'Abbaye de Saint-Sauveur et de Domèvre (1010-1789), in Mémoires de la Société d’Archéologie Lorraine, 1897 et 1898.
5. DHL DES MARAIS (Albert). Les comtes de Salm de 1115 à 1500, in Bulletin de la Société Philomathique Vosgienne. 1954. p. 11. `
6. OHL DES MARAIS. o.c., p, 14
7. Abbé CHATTON. Histoire de 1'Abbaye de Saint-Sauveur et de Domèvre (1010-1789), in Mémoires de la Société d'Archéologie Lorraine, 1398, p. 169-170.
8. Abbé CHATTON, o.c.. p. 161-162.
9. Abbé CHATTON, o.c., p. 162.
10. Abbé CHATTON, o.c.. p. 162-164.
11. GENY (P.), Le passé de la région forestière du Donon. in Revue Forestière Française. avril 1956. N°4, p. 138.
12. JOUVE (Louis). Etude géographique sur le ban et les possessions de Senones jusqu'au milieu du XIIIème siècle, in Bulletin de la Société Philomathique Vosgienne, 1878/79, p. 128-172.
13. Abbé CHATTON. o.c., vol. 1897, p. 152.
14. DELAHACHE (Georges), Alsace-Lamine, lu carte au liseré vert. 1918.
15. FOURCHY (Paul), Le vieux chemin d' Allemagne de la Vallée de Celles-sur-Plaine, in Bulletin de la Société Philomatique Vosgienne, 1954. p. 62-64.
16. Colonel LAUSSEDAT, La délimitation de la frontière franco-allemande. 1901.
17. Colonel LAUSSEDAT, o.c.. p. 157.
18. Colonel LAUSSEDAT, o.c., p. 165. note l.
19, Colonel LAUSSEDAT, o.c., p. 63-64.
20. Colonel LAUSSEDAT. o.c.. p. 129
21. Colonel LAUSSEDAT. o.c.., p. 134.
22. Colonel LAUSSEDAT, o.c., p. 98.
23. FOMBARON (Jean-Claude). La borne frontière 11° 1997, in Essai' n° 126, murs 1985; HOEDERBACH (Jean-Marie), l'ancienne borne-frontière n° 1997, in Essor n° 140, septembre 1988.
24. GOEHRY (Daniel), Les nouveaux poteaux-frontière. in Essor n° 124, septembre 1984.
25. En effet, sans la réaction des habitants des deux Raon après 1870, les deux villages auraient été définitivement annexés par les Allemands et auraient récupérés, après la première guerre mondiale tous leurs territoires, y compris les forêts domaniales
26. Une grande partie de ce texte a été publiée dans la revue trimestrielle 1'ESSOR-Schirmeck : n° 153-décembre 1991. n° 154 - mars 1992 et n° 155 -juin 1992.